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Kamel Daoud - Ce qu'est vraiment un dictateur

Les Français le savent-ils tous ? Si leur pays bascule dans le chaos, la radicalité, c'est que tout est permis ailleurs. C'est le quitus rêvé pour les populismes en Occident. Il faut espérer que cela ne se passe pas ainsi. Et, pour espérer, il faut au moins corriger le sens des mots. Ceux de la presse, des médias. À lire les titres et l'usage que l'on fait de la langue, on déchiffre presque un espoir malsain de voir s'écrouler un pays comme pour justifier, rétrospectivement, une titraille.

Quelques mots sont à redéfinir d'urgence pour recouvrer la mesure. « Dictature », d'abord, utilisé à l'intention du macronisme. Certains oublient donc ce qu'est un dictateur. La littérature en a adouci le mystère brutal, le reportage en a fait un « sujet » exotique, les années 1970 étant un souvenir, on en parle aujourd'hui avec une dangereuse négligence. Un dictateur, c'est un homme qui prend le pouvoir à la vie à la mort. Qui tue la moitié de son peuple pour gouverner l'autre moitié agenouillée, qui a des prisons secrètes, une police secrète, une humeur secrète. Il est sanguinaire, fantasque, assassin. Il adore faire du pays une photo de lui-même, il aime la parade et le portrait géant. Le confort étant un abrègement inévitable de la mémoire, on semble avoir oublié ce qu'est un dictateur et on le voit partout, dans la presse et la parade.

« Violences policières ». C'est l'usage que l'on fait de la police pour protéger un dictateur, ses proches, ses biens. C'est synonyme de sang, blessés graves, morts quotidiens, « disparitions » et procès de minuit. C'est loin de définir des heurts entre manifestants et policiers à Paris ou à Bordeaux.Démesures. « Guerre ». C'est un souvenir terrible, une divinité qui boit du sang, pas un jeu de mots. Une guerre tue, par milliers, par millions. C'est la perte de la maison, du sens, de l'humain, du pays, de la dignité. Ce n'est pas un échange de cailloux et de lacrymogènes. Il faut laisser se reposer les morts et la mémoire. Il ne faut pas les convoquer pour habiller ses démesures.

« Résistance ». Ce mot, en France, a une mémoire. Ce n'est pas un sticker jaune qu'on appose sur un bocal, un front ou un gilet. On peut faire de la résistance mais pas se faire passer pour elle.

« Décapitation ». « Monarchie ». « Bastille ». « Roi ». On a suivi dans le reste du monde ce remake faiblard et artificiel de la Révolution française dans la France des intox. Plus proche de la redéfinition de l'Œdipe que de la vraie révolution. Ici, avec ces mots, certains veulent « tuer » le père, épouser la mère et errer, aveugles et coupables.
« Printemps européen ». Ou français. Irrespectueux pour les Égyptiens, Syriens, Tunisiens, Ukrainiens qui sont morts sous les sabots, les avions russes en Syrie ou les tirs des snipers au Caire. Un « printemps » est une chose sérieuse, espérée une vie durant, payée chèrement : c'est se soulever contre un dictateur pour atteindre la liberté et pas seulement la détaxe, la dignité. On y voit de la colère, pas de la haine de l'ordre. On y crie liberté, pas anarchie. On y rêve d'urnes, d'élections propres, de démocratie et de presse indépendante.

« Répression ». Cela arrive de nuit. Vous êtes dans votre maison et on vous arrête - cagoule, menottes, cellule secrète, torture et PV à signer sous la menace de câbles électriques nus. Votre famille ne sait pas où vous êtes et votre vie dépend d'une ONG qui se bat pour vous en Europe. Votre corps devient un délateur contre votre âme, vous perdez vos dents et votre dignité. La fosse sera votre rêve nocturne et, quand vous êtes libre, vous ne pouvez rien saisir de vos mains sans gémir et recompter vos doigts. Cela ne se passe pas ainsi à Paris.

Tout cela pour revenir par des mots sur les mots. Ils sont dangereux. « Gazer » en est un de plus qu'il faut redéfinir avec précaution. Si, en France, on commence à abuser jusqu'au ridicule des mots « dictature » et « répression », que va-t-il nous rester à nous, au Sud, comme mots pour parler de nos sorts ?

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