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Le populisme sanitaire par Laurent Joffrin

Insurrection invisible ? Dans une vie politique paralysée par la pandémie, avec un Parlement désert et une opposition soucieuse de ne pas accroître les divisions quand l’Etat mène un combat ardu et incertain contre le coronavirus, les protestations se réfugient sur les réseaux sociaux. A côté de contributions intelligentes, de critiques pertinentes, d’appels nombreux à la solidarité, toute une littérature agressive, insultante, complotiste à souhait, se répand à la vitesse d’un virus numérique. Une vidéo affirmant que le Covid-19 a été créé en laboratoire à des fins diaboliques recueille un million de vues, le hashtag #IlsSavaient fait un carton en accusant «les élites» d’avoir sciemment laissé l’épidémie se diffuser, le professeur Raoult, à son corps défendant, devient le héros massivement adulé d’une contre-information sommaire, des tweets vengeurs soutiennent que la classe politique se protège indûment à l’aide de scandaleux passe-droits, etc. Un discours acerbe aux raisonnements fantasmatiques se cristallise en ligne, prolongeant dans le champ sanitaire la rhétorique fruste et démagogique qui infeste la vie politique. Elle oppose encore une fois le peuple souffrant à une mince couche de dirigeants irresponsables et cyniques, à la manière des philippiques grossières qu’on a connues au temps des gilets jaunes. Une nouvelle vague populiste suivra-t-elle la vague des contaminations qui inquiètent tant le corps médical ? On ne sait encore mais l’hypothèse n’a rien d’invraisemblable. Au même moment, le paradoxe du populisme se manifeste de manière éclatante à l’échelle internationale : ce sont justement les leaders portés au pouvoir par la même colère populaire qui mènent les politiques les plus contestables. Aux Etats-Unis, Donald Trump a nié avec force, pendant un long mois, la gravité de la crise. Voyant que son pays devenait l’un des plus durement touchés par le virus, il a fait brutalement machine arrière, tout en affirmant que les mesures de confinement seraient rapidement levées et que l’économie américaine serait repartie à Pâques, quand ses propres conseillers prévoient une lutte bien plus longue. Il a proposé tout de go d’isoler totalement l’Etat de New York du reste du pays avant de changer d’avis quelques heures plus tard. Devant l’évidence des faits et l’inquiétude de l’opinion, avec un mois de retard qui coûtera de nombreuses vies, il s’est résolu à adopter les mesures de bon sens prises dans la plupart des pays, au vrai mal appliquées en raison du fédéralisme états-unien. Il tient des conférences quotidiennes tissées d’autosatisfaction bravache, se félicitant de leur audience télévisuelle tel un producteur de reality-show et s’auto-congratule en prévoyant qu’un bilan final limité à quelque «100 000 morts» (sic) démontrera l’excellence de ses décisions. Peu importe le caractère notoirement foutraque de ses interventions : ses sondages sont bons, ce qui le conforte une nouvelle fois dans sa manière erratique et péremptoire. En Grande-Bretagne, l’homme du Brexit enfin réalisé, Boris Johnson, a lui aussi minimisé la crise et choisi une stratégie d’abstention, soutenant qu’il fallait laisser le virus se propager pour immuniser la population. Devant les menaces d’engorgement qui pesaient sur le système de santé britannique, devant le décompte macabre du nombre de décès, il a tourné casaque comme Trump, adoptant le confinement général imposé quelques semaines plus tôt dans le reste de l’Europe, tandis qu’il était lui-même contaminé par le virus. Au Brésil, Jair Bolsonaro continue quant à lui de nier la gravité de la pandémie et poursuit ses bains de foule sans protection, clamant qu’il n’est pas question d’handicaper l’économie de son pays par des mesures de précaution contraignantes. On espère qu’un miracle sauvera du fléau le peuple brésilien mais autour du Président, parmi les experts qui le conseillent, le doute s’installe progressivement. En somme, le populisme dénonce les gouvernements qui essaient de lutter de manière à peu près rationnelle contre la pandémie, mais là où il est au pouvoir, il fait la démonstration des embardées chaotiques où l’entraînent ses instincts irrationnels. Rien d’étonnant au fond : théorisé par des intellectuels comme Chantal Mouffe, le populisme consiste, non pas à rechercher dans le débat contradictoire les meilleures solutions pour les peuples, mais à désigner, dans le sillage du juriste nazi Carl Schmitt, en vogue chez certains intellectuels radicaux, un ennemi commun à la société et à tracer entre lui et les autres une ligne de démarcation étanche qui structure la vie politique. Cet ennemi est incarné par «ceux d’en haut», leur savoir arrogant, leur supposée compétence, qu’ils soient élus ou médecins. Et quand cette élite honnie est remplacée au pouvoir par les représentants du peuple en colère, on continue à la dénoncer comme une entité maléfique et surplombante qui entrave encore et toujours la volonté populaire. Quand les affects envahissent la scène publique, les faits perdent leur importance, la logique s’efface et les discours les plus contradictoires l’emportent dès lors qu’ils stigmatisent, par tous moyens, sous les applaudissements du peuple en colère, l’ennemi imaginaire. Laurent Joffrin directeur de la publication de Libération

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